vendredi 31 août 2012

Barquettes & pain rassis : les méandres de l'alimentation d'hôpital



L'infernal chariot à plateaux repas ... dont le bruit hante encore mes nuits...


Le thème pourrait rappeler cette scène du sketch des Inconnus sur la vie à l'hôpital : 

Le médecin désignant la barquette d'un patient - Ah il a tout vomi !
L'interne  : Non , il n'y a pas encore touché là . 
En coeur : Bon appétit .... ! 

Le trio d'humouristes a beau caricaturer le milieu hospitalier , le constat est pourtant clair : la nourriture d'hôpital est loin d'être gastronomique. Ayant connu les joies de l'hospitalisation longue durée , j'ai pu tester une centaine de repas de ce type que j'ai dû avaler tant bien que mal ( histoire de reprendre des forces) et dont le goût insipide ne m'a pas franchement manqué à la sortie . Retour sur un régime stérilisé et sans  saveur , qui a eu le seul mérite de me remettre sur pied.

Chaque matin , c'est le même cérémonial . Retranchée dans ma chambre à faire des activités misérables ( essentiellement du découpage pour moi) en regardant des clips de W9 , une aide soignante vient faire la "commande" des deux repas du lendemain . C'est l'une des seules visites que j'ai de la journée , donc ça fait une petite animation mine de rien . Comme ça ça a l'air marrant , elle a une petite machine où elle sélectionne l'entrée, le plat et le dessert qu'on a choisi . J'ai rapidement compris qu'il ne fallait pas se fier à l'intitulé "alléchant" ( tout est relatif ) des plats proposés : "pizza , lasagnes , pâtes bolognaise , quiche ... toute la liste est en fait juste épouvantable et non identifiée. Résultat je choisissais toujours la même chose , des aliments fadasses mais sans risque : jambon/haricots verts ou colin sauce petits légumes ( je cherche toujours lesdits légumes) . A noter que le jambon devrait s'appeler gras au jambon et que tous les légumes ne sont ni assaisonnés ni salés. Une vraie diète terne. J'ai tout testé : les multiples poêlées ( forestière , campagnarde ...) , les potages froids aux couleurs peu attrayantes , les pâtes trop cuites , les endives au jambon terrifiantes ( bon ok , le plat en lui même me fait froid dans le dos). Un vrai festin.

La plupart des malades ne mangent rien de ce qui est proposé . J'étais la seule de mon service à finir mes plateaux ( contrat de poids oblige) . Les ados se contentent de pain , de fromage et d'un bout de steak avant de dévaliser le distributeur de la cafétéria du rez de chaussée lors d'une autorisation de sortie. Les enfants demandent en remplacement trente six milles crèmes desserts et biscuits aux diététiciennes histoire d'avoir tout de même leur ration calorique journalière. J'ai pu voir un diabétique manger 4 pains à son repas et deux barquettes de pommes de terre (cherchez l'erreur).

Les trois repas sont pris en "salle à manger" à heures fixes , des horaires de retraités . 8h30 pour le petit déjeuner , 12h pour le déjeuner et 6h15 ( ! ) pour le dîner . C'est un moment particulièrement déprimant et silencieux ( on entend très distinctement le bruit de la pendule) . Nous sommes constamment surveillés par une armée d'aides soignantes qui font le tour de la pièce en vérifiant qu'on plante bien la fourchette dans un brocolis . Il n'y a pas un bruit. Les anorexiques touillent dans leur plateau repas , poussent la purée pour faire mine d'en avoir mangé la moitié , machouillent un haricot en se tenant l'estomac en ayant l'air d'être repu. On entend la grosse machine à plateau depuis l'autre bout du couloir , avec un bruit de vaisseau spatial vrombissant dans tout le service . On a passé notre journée à attendre ce repas , seule préoccupation quotidienne , qui devient l'objet d'une obsession pathétique ( les troubles alimentaires...) . A la fin , les aide soignante font le compte de ce qu'on a avalé : 1/4 de hachis parmentier , 1/2 pomme , 1/8 de carottes râpées ... le calcul est précis et mentionné dans les "transmissions" ( les grandes réunions des aides soignantes , infirmières , médecins qui a lieu tous les jours ) . 

Avant de pouvoir manger à table , j'ai du manger dans mon lit pendant des semaines en solitaire . Seul le raisin et salade de chou fleur avaient bon goût d'après mes souvenirs . L'ambiance est à la suspicion , une aide soignante a même cru que j'avais jeté une de mes barquettes par la fenêtre ou caché sous mon lit , étonnée de m'avoir vu la terminer . Au fil du temps , ces repas m'ont paru moins terribles , voire bizarrement bons à déguster , comme si mon organisme s'était habitué à ce régime morne et réglé comme du papier à musique.

Résultat lors des premières "permissions" , la nourriture extérieure avait un goût incroyablement puissant. Je n'en revenais pas de manger un plat de pâtes aux herbes ou du poisson mijoté après des rations si monastiques . Ce choc gustatif m'a permis d'avancer ma sortie définitive et de goûter subitement à beaucoup de choses que je ne pouvais plus manger depuis des lustres. De la cuisine épicée , acidulée , toujours très parfumée.Je ramenais même des petits tupperwear avec des biscuits diététiques noix de coco/ananas histoire de me ravitailler , que je cachais consciencieusement dans ma commode de retour à l'hôpital et que je grignotais devant Esprits Criminels le soir.

Des années plus tard , j'y repense souvent , me disant que je tiens une vraie revanche lorsque je mitonne des haricots verts avec une pointe de pesto et des pâtes al dente aux poivrons tricolores et que si toute cette période a beau paraître proche , elle reste tout de même lointaine , en tout cas en goût . J'ai appris depuis que l'hôpital où j'avais été avait désormais des assiettes et un four à micro onde . Un vrai bond en avant dans l'amélioration des repas hospitaliers... Dire que certains hôpitaux proposent même des cours de cuisine !






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